L’Eau et l’Agriculture en Méditerranée : une urgence.

 Méditerranée

Une démographie croissante en Méditerranée

Les 22 pays riverains de la Méditerranée comptent aujourd’hui 520 millions d’habitants. Un contexte démographique très déséquilibré puisque pour un habitant de plus dans les pays « rive nord », on en compte 10 dans les pays « rive Sud et Est ».

agriculture irriguée

Une eau rare et mal répartie, facteur de tensions.

Actuellement, 30 millions de personnes dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM) n’ont pas accès à l’eau potable. On sait aussi que la moitié de la population mondiale dite « pauvre en eau » (moins de 1 000 m3 d’eau/an) vit dans les PSEM.

Clairement, le bassin méditerranéen est une région sinistrée à ce niveau là avec un déséquilibre très marqué entre le nord et les PSEM.

 Evidemment, la rareté de l’eau est un facteur crisogène potentiellement très dangereux.

Cinq pays de la Méditerranée dépendent quasi totalement de ressources extérieures.

Par exemple, le conflit israélo-palestinien et israélo-syrien est clairement alimenté par ce grave problème dans la vallée du Jourdain et sur le plateau du Golan,

L’Egypte exerce une pression diplomatique importante auprès des pays en amont du Nil pour le maintien d’un débit acceptable pour le pays, etc.

L’accès à l’eau fait partie de l’Objectif du Millénaire pour le Développement (défini en 2000 par l’ONU). Les progrès à réaliser dans les pays riverains de la Méditerranée sont considérables compte tenu des enjeux démographiques, de stabilité politique (cf. émeutes de la faim en Egypte), de lutte contre la désertification et d’adaptations aux changements climatiques, de santé publique et de préservation de la biodiversité.

 L’agriculture : le premier consommateur

En effet, 2 litres sur trois sont consommés par l’agriculture. On peut, parler des phénomènes de restitution, ils sont réels mais mal évalués. On peut dire aussi que cette eau n’est pas perdue puisque elle est transformée en aliments. Mais la réalité parle et les chiffres montrent clairement un appauvrissement des ressources du aux irrigations.

 Au total, 300 Km3 cubes d’eau (300 milliards de m3) par an sont utilisés dans cette région du monde dont 200 pour l’agriculture, on peut estimer qu’une centaine est destinée aux productions fruitières, maraîchères et horticoles.

Les chiffres de la consommation agricole sont effectivement très élevés et les marges de manœuvres sont encore importantes en matières d’économie et d’optimisation.

 En effet :

– En moyenne, 45 %      des eaux prélevés pour l’agriculture n’arrive pas à la plante (pertes dans les réseaux, évaporation dans les barrages, techniques désuètes ….), les marges de progrès sont considérables ;

– La politique de  l’offre présente aujourd’hui toutes ses limites. En effet, peu de pays ont  encore la possibilité de proposer de nouvelles offres d’eau aux usagers.

Grande Rivière Artificielle Libye
Grande Rivière Artificielle Libye

Même si l’Algérie prévoit la construction de plusieurs dizaines de barrages, le GAP (Guneydogu Anadolu Projesi) en Turquie prévoit aussi la construction d’une vingtaine de barrages enfin avant le conflit, la Libye prévoyait la construction « pharaonique » de la Grande Rivière Artificielle (GRA) qui devait acheminer des millions de m3 issus des nappes fossiles du Sahara (non renouvelables) vers le nord du pays.

Barrage Algérie
Barrage Algérie

On retiendra aussi bien sûr les investissements importants pour le dessalement des eaux ou encore du traitement des eaux usées en Espagne, Chypre, Malte, Israël, Maghreb.

– Une orientation massive vers la gestion de la demande paraît donc nécessaire. En effet, les marges de progrès en matière d’économie d’eau sont importantes : modernisation des réseaux, mode de gouvernance, modes de recouvrement des frais et détermination d’un « vrai » prix de l’eau, les systèmes de comptage, la formation et la sensibilisation des usagers, etc.

G.A.P
G.A.P

La spécificité méditerranéenne (le fameux régime crétois) : les fruits et légumes.

La production de fruits et légumes dépend totalement de la disponibilité de la ressource en eau. Ces cultures sont impossibles sans eau, ça peut paraître une banalité mais il est curieux de voir qu’il faut le rappeler régulièrement dans certaines instances (cf. certaines DG de l’UE) : dans le bassin méditerranéen ces cultures sont tout simplement impossibles à produire sans eau.

L’agriculteur spécialisé dans ces cultures est avant tout un irrigant.

Une estimation rapide montre qu’il est nécessaire aujourd’hui de mobiliser une centaine km3 d’eau pour ces productions sur l’ensemble des 22 pays riverains de la Méditerranée (environ 100 milliards de m3). Soit environ le tiers de  la consommation totale en eau dans cette région du monde.

légumes méd

Avec, évidemment, des disparités très fortes entre la rive nord et les PSEM ou les précipitations et la nature des bassins versants ne sont pas les mêmes.

Dans un contexte de plus en plus tendu par rapport à l’usage de l’eau, l’irrigation est très mal perçue par l’opinion publique et certains pouvoirs publics.

Pourtant, l’irrigation n’est pas une pratique nouvelle sous nos latitudes. Elle est même à la base des plus anciennes civilisations du monde.

10 000 ans avant notre ère, les premiers hommes sédentaires ont structuré leur société autour de grands fleuves qui leur permettaient d’irriguer les premières cultures. Ces premiers foyers humains sont nés autour de l’Indus, plus près de nous au bord de l’Euphrate et du Tigre et enfin du Nil.

Ce savoir-faire dans la gestion de l’eau a essaimé par la suite dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Voilà 2 000 ans, l’hydraulique arabe a donné ses plus belles lettres de noblesse aux cultures irriguées. Les témoignages patrimoniaux et culturels sont encore très vivaces au Maghreb et en Espagne.

Cette maîtrise de l’eau a permis de développer des cultures très diversifiées de fruits et légumes qui sont à la base du fameux régime méditerranéen gage de santé aujourd’hui prôné par l’ensemble des nutritionnistes occidentaux.

Cette histoire, ces patrimoines vivants et bâtis, cette diversification des cultures et de savoir-faire ancestraux structurent aujourd’hui des pans économiques importants dans ces pays.

Rien qu’en France, la filière fruits et légumes dans les régions méditerranéennes représentent 40 000 emplois directs et indirects.

 Néanmoins, cette activité est en danger dans les pays européens méditerranéens.

Ces pays doivent respecter la Directive Cadre sur l’Eau qui impose des respects de débits et des retours au « bon état » des rivières et des nappes.

Ces ambitions sont aujourd’hui extrêmement difficiles dans les régions méditerranéennes françaises, que dire des situations insulaires ou encore de l’Espagne ou de la Grèce par exemple.

Souvent les dirigeants européens issus du nord du continent apprécient mal les spécificités du fonctionnement des cours d’eau méditerranées, et nous imposent des règlements inadaptés, le tout relayé par des associations militantes qui demandent régulièrement de mettre en place une « désirrigation » de nos régions sans connaître les réalités du terrain.

On peut rajouter à cela la confusion entre les irrigations massives pratiquées pour le maïs et nos systèmes basés sur les productions méditerranéennes de fruits et légumes beaucoup moins consommatrices en eau.

L’eau et la Méditerranée : objet de nombreux centres d’intérêt. 

Cette thématique a généré la création de nombreuses organisations principalement tournées vers la recherche (pôle mondial de l’eau à Montpellier) mais aussi des organisations diverses qui mettent en relation des usagers et des experts sur le bon usage de l’eau ou encore qui développent des programmes de sensibilisation, de capitalisation de données, etc. (Institut Méditerranéen de l’Eau à Marseille, European Irrigators Community, le Plan Bleu, Office International de l’Eau, etc.). Sans oublier en France les deux Sociétés d’Aménagement Hydrauliques qui ont grandement œuvrés ici et partout dans le monde : le Canal de Provence et BRL. Force est de constater cependant que peu d’institutions se sont préoccupées de la spécificité, de la défense de l’usage et de la valorisation de l’eau dans les filières  fruits, légumes et horticulture pourtant les activités les plus consommatrices d’eau.

Alors que faire ?

Dans ce contexte, il paraît urgent de bâtir des programmes spécifiques de recherche et de développement pour lutter contre le gaspillage de l’eau, pour améliorer la gouvernance, pour moderniser les réseaux, pour réutiliser les eaux usées traitées, pour réadapter les agro-systèmes au changement climatique et à la rareté de l’eau.

Ces programmes nationaux et internationaux sont lourds et ne pourront être portés par les Etats seuls ou les organisations de producteurs. Les alliances sont nécessaires car il en va d’enjeux stratégiques majeurs pour cette partie du monde. On voit d’ailleurs se dessiner des phénomènes inattendus de retour à la terre dans des pays gravement touchés par la crise en Europe. L’eau va revenir au centre des préoccupations de régions entières en Europe et ailleurs sur le pourtour méditerranéen.

Très concrètement aussi, mon expérience me montre que les rencontres et les échanges entre usagers valent tous les discours des meilleurs ingénieurs et chercheurs dans les grands colloques.

Je relance depuis des années, une idée simple, pour créer une école itinérante de l’eau qui regrouperait des intervenants de choix dans les pays « visités » (agriculteurs irrigants, techniciens, ingénieurs, enseignants) afin de créer des espaces de débats et d’échanges uniquement dans l’objectif de l’économie et de la bonne gestion de l’eau à destination de tous les agriculteurs irrigants du bassin méditerranéen.

Xavier Bataner

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